Chronique de l’ouvrage S’habiller (avec) éthique. Guide pratique pour une garde-robe responsable, sous la direction de Redress (Pyramid éditions, 2017).
Je ne vous apprends rien si je vous dis que la mode est un secteur polluant, classé juste après l’industrie pétrolière en ce qui concerne l’exploitation des ressources naturelles et l’utilisation de produits chimiques toxiques, parfois déversés dans les eaux.
A la lecture de l’ouvrage S’habiller (avec) éthique, les phrases « nous épuisons les ressources naturelles », « nous achetons trop », « nous payons un prix inéquitable », « nous polluons », ne m’ont pas laissé de marbre, et une réflexion sur le secteur de la mode et l’éthique environnementale m’a semblé nécessaire pour poursuivre notre discussion sur la protection de notre environnement commun.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, quelques chiffres sur ce secteur :
« environ 150 milliards de vêtements [sont] fabriqués chaque année »
« nous achetons 400% de vêtements neufs de plus qu’il y a 20 ans »
« le textile est le 3° secteur consommateur d’eau dans le monde, après la culture de blé et de riz. Pour fabriquer un tee-shirt, il faut l’équivalent de 70 douches. Et pour produire un jean, c’est 285 douches »
« En Europe, 80% des 4 millions de tonnes de textile dont on se débarrasse chaque année finissent à la poubelle »
« 2%, c’est le taux annuel d’émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial, soit 1,2 milliard de tonnes. C’est plus que les vols internationaux et le trafic maritime réunis »
Chiffres issues de S’habiller (avec) éthique et Kaizen, hors-série n°14, 11/ 2019.
Pollution et surconsommation semblent être de prime abord le talon d’Achille de l’industrie de la mode.
Le problème de la pollution
Dès le début de mon questionnement sur cette industrie, et la consommation vestimentaire qui en découle, quelques questions se sont posées d’emblée : avons-nous conscience d’être tombé.e dans le consumérisme, exacerbé par le fast fashion – ces collections renouvelées à la vitesse de l’éclair ? Avons-nous conscience de la provenance de nos vêtements et des conditions de production ? Quelle place existe-t-il pour le recyclage ? Pourquoi avons-nous besoin d’acheter toujours plus de vêtements ?
Si on regarde de près, la pollution générée par le secteur de la mode est alarmante. En plus de la consommation d’eau, mentionnée plus haut, il est important de faire référence au problème de l’usage des pesticides pour la culture des fibres :
La culture du coton, par exemple, représente 10% des pesticides et 22,5% des insecticides utilisés à l’échelle mondiale. Par ailleurs, on estime que de 17 à 20% de la pollution industrielle de l’eau provient de la teinture et du traitement des textiles.
S’habiller (avec) éthique, p. 15
Bien évidemment, la culture du coton biologique demande autant d’eau qu’en conventionnel, mais aucun pesticide n’est utilisé pour le cultiver.
L’utilisation des matières synthétiques (acrylique, polyester, nylon, entre autres) pose également question : en effet, elles
se dégradent au lavage en microplastiques
« Zéro déchet de A à Z », Kaizen, hors-série n°14, p. 109.
et leur temps de dégradation après fabrication est affolant : il faudrait environ 200 ans au polyester pour se dégrader alors que le coton met entre 1 à 5 mois (pour plus de détails voir S’habiller (avec) éthique, p. 179).
Par ailleurs, le « cycle des vêtements », qui se divise en 8 grandes phases cultiver ; tisser ; couper ; coudre ; transporter ; acheter ; porter ; jeter ou recycler (S’habiller (avec) éthique, p. 13)) est marqué par le problème de la pollution, par l’utilisation de substances toxiques à différentes phases du processus (les matières premières peuvent être chargées en pesticides, métaux lourds ou encore génétiquement modifiées). Cette pollution impacte la nature mais aussi, bien entendu, les travailleurs.
Impact environnemental et social
Au cours des dernières décennies, les grands groupes du secteur de la mode ont mis l’accent sur la délocalisation de leur production et sur l’accessibilité de vêtements à bas coût dans des enseignes aux milliers de boutiques à travers le monde. L’idée de faire des économies apparaît clairement comme la dynamique de nombreux grands groupes, au détriment d’une juste rémunération des travailleurs et des savoirs à travers le monde. La réussite de l’économie a gagné sur l’éthique sociale et environnementale. Pour reprendre les mots du Pape François :
[l]e principe de la maximalisation du gain, qui tend à s’isoler de tout autre considération, est une distorsion conceptuelle de l’économie : si la production augmente, il importe peu que cela se fasse aux prix des ressources futures ou de la santé de l’environnement ; si l’exploitation d’une forêt fait augmenter la production, personne ne mesure dans ce calcul la perte qu’implique la désertification du territoire, le dommage causé à la biodiversité ou l’augmentation de la pollution. Cela veut dire que les entreprises obtiennent des profits en calculant et en payant une part infime des coûts. Seul pourrait être considéré comme éthique un comportement dans lequel les coûts économiques et sociaux dérivant de l’usage des ressources naturelles communes soient établis de façon transparente et soient entièrement supportés par ceux qui en jouissent et non par les autres populations ou par les générations futures.
Loué sois-tu, encyclique du Pape François, § 195, p. 153.
Les entreprises sont responsables de l’impact environnemental et social néfaste. Mais tout est évidemment connecté, et le consommateur a sa place dans le jeu économique. Acheter n’est pas seulement un acte qui se résout en lui-même, c’est aussi et avant tout un choix éthique : en achetant un vêtement, on contribue à toute une structure. On peut, dans cette optique, dire qu’en tant que consommateurs habitués à payer nos achats à un prix inéquitable, nous avons perdu la notion de la valeur réelle d’un vêtement (le vêtement n’est pas seulement un objet, c’est une matière première, une main-d’œuvre, des circuits de production et de distribution).
Ainsi, le pouvoir d’achat peut se lire comme un paradoxe de notre ère car on constate une détérioration globale de la qualité : mauvaise qualité des vêtements, du linge de maison, des denrées alimentaires, du mobilier – ce qui crée un cercle vicieux (acheter à bas prix, mais plus souvent). La croissance économique est celle des grands groupes et se fait au détriment de Madame et Monsieur Tout-Le-Monde, qui sont plongés dans une spirale d’achats bien souvent inutiles, et encouragés par le positionnement publicitaire des entreprises qui proposent, sans le nommer ainsi bien évidemment, un style de vie consumériste. Ce style de vie se retrouve incarné dans le fast-fashion, dans les collections (printemps – été / automne – hiver, 2018, 2019, 2020 et ainsi de suite), les tendances (le pastel, l’imprimé léopard, etc), cette volonté d’être toujours « à la mode ».
Réfléchir de manière responsable sur le sens de la valeur donnée aux objets devient un questionnement primordial afin de permettre la protection de la nature et celle des travailleurs. Certaines solutions existent pour un habillement d’avantage écologique, équitable et éthique.
Entretien, raccommodage et surcyclage
S’habiller (avec) éthique se divise en 4 chapitres – acheter, porter, entretenir, éliminer. Je vous donne quelques conseils issus de l’ouvrage :
Vous pouvez privilégier d’acheter vos vêtements d’occasion en friperie, en dépôt-vente, dans des boutiques d’occasion valorisant l’emploi, et ainsi la réinsertion de personnes en difficulté ; ou encore dans les fameux vides-dressing qui permettent de participer à des échanges en local. Évidemment, à l’heure actuelle, de nombreuses plates-formes en ligne proposent l’achat de vêtements d’occasion, mais cette solution n’est pas recommandée car l’expédition des vêtements engendre des émissions de carbone pouvant être superflues lorsqu’on vit en ville avec de nombreuses possibilités autour de chez soi. Pourquoi ne pas se prêter les vêtements entre amis (peut-être avez-vous repéré un pantalon dans la garde-robe d’une amie qui aimerait elle-même vous emprunter un chemisier ?). Et bien sûr, n’hésitez pas à faire don des vêtements que vous ne portez plus à des organismes et des associations. Si vous optez pour l’achat de vêtements neufs (notamment pour les sous-vêtements et les chaussettes), orientez vos choix vers des fibres issues d’arbres à faible empreinte écologique, comme le lyocell et privilégiez les fibres végétales (comme le lin ou le chanvre) ; soutenez une économie locale, en privilégiant les petites entreprises ou couturières indépendantes, préoccupées par la question éthique (du côté des marques françaises, vous pouvez faire un tour, pour vous faire une idée du dressing responsable, sur les sites d’Olly, marque spécialisée dans les sous-vêtements biologiques et d’Ekyog, proposant des vêtements biologiques et équitables).
Les auteurs nous proposent par ailleurs des pistes pour prolonger la durée de vie de nos vêtements ainsi que des idées pour leur donner une seconde vie. En voici quelques unes :
Pour garder la forme des vêtements, fermer boutons, et fermetures éclair avant le lavage.
Apprendre à connaître les fibres et identifier les vêtements ayant besoin de plus de soin.
Certains de vos vêtements peuvent avoir un petit accroc, un petit trou, etc., dans ce cas c’est à vous de jouer ! Grâce à la passementerie (dentelle, perles, transferts, etc.), raccommodez vos vêtements, reprisez-les : en un mot, réparez-les pour pouvoir les porter plus longtemps.
Teindre un vêtement taché peut prolonger sa durée de vie. Les teintures naturelles mentionnées dans l’ouvrage sont celles des fruits et légumes riches en pigments, tels que la betterave, la courge ou encore les mûres. Il est également fait mention des fleurs et sachets de thé.
Et si vraiment certains vêtements sont inutilisables, orientez-vous vers des créations éco-responsables, en donnant une nouvelle fonction à ces vêtements : les couper en chiffons, réaliser un sac à baguette dans une manche de chemise, garnir des coussins, coudre des sacs à vrac à partir de tee-shirts en jersey. Les possibilités sont infinies lorsque l’on parle du surcyclage (upcycling), cette méthode consistant à confectionner des objets, des vêtements ou des accessoires à partir de matériaux de récupération, en les recyclant, les détournant de leur usage premier.
En d’autres termes, et je conclurai par cette phrase issue de l’ouvrage,
le but [est] que les vêtements qu’on ne veut plus ne finisse pas à la décharge.
S’habiller (avec) éthique, p. 197.
Enrayer un système passe par devenir acteur de notre mode de vie.
Sources bibliographiques
Redress (dir.), S’habiller (avec) éthique. Guide pratique pour une garde-robe responsable, Pyramid éditions, 2017. Redress est une organisation non gouvernementale créée en 2007 par Christina Dean et œuvrant pour rendre plus éthique l’industrie de la mode.
« Comment devenir autonome – tome 3, Zéro déchet de A à Z, 150 DIY de Camille Binet-Dezert et Linda Louis », Kaizen, hors-série n°14, novembre 2019. Pour plus de chiffres sur le secteur de l’industrie textile, voir la double page « Les vêtements. Le look qui coûte cher à la planète ».
Camille Binet-Dezert, Créations zéro déchet, Paris, Green Mango, 2017.
Loué sois-tu. Laudato Si’. Sur la sauvegarde de la maison commune, Encyclique du Pape François, Bayard Editions, Mame, Editions du Cerf, 2015.