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L’agroécologie peut nous sauver

Chronique de l’ouvrage de Marc Dufumier & Olivier Le Naire, L’agroécologie peut nous sauver (Arles, Actes Sud / Colibris, coll. « Domaine du possible », 2019).

L’ouvrage L’agroécologie peut nous sauver (Arles, Actes Sud / Colibris, coll. « Domaine du possible », 2019), qui se construit autour d’entretiens entre Marc Dufumier, ingénieur agronome et président de Commerce équitable France, et Olivier Le Naire, journaliste, nous fait entrer dans le domaine concret de la révolution agroécologique, à travers sa lecture de l’actualité. Il nous fait également prendre conscience des limites du modèle industriel et commercial mondial actuel et du rôle que chacun d’entre nous, en tant que citoyen, peut jouer pour faire évoluer la situation et surtout les maux qui gangrènent notre planète.

L’ouvrage se découpe en 4 grandes parties :

  1. Aux sources de l’agroécologie
  2. Les cinq voies de la sagesse
  3. Questions d’actualité
  4. Dix propositions pour réformer notre politique agricole et alimentaire

Marc Dufumier propose une lecture du modèle sociétal en vigueur à travers le prisme du monde agricole.

Un étouffement global

Dans son panorama de l’agriculture d’après-guerre en France, nous constatons que le pays est passé d’un système d’entraide entre les paysans à un système de compétition :

Dans les groupes de vulgarisation agricole au sein des coopératives, les paysans échangeaient leurs expériences et mettaient parfois du matériel en commun. Mais plus la compétition est devenue aiguë, plus les gens sont devenus rivaux et non plus amis. Les traditions d’entraide se sont éteintes progressivement et les agriculteurs ont commencé à se disputer au sein des Coopératives d’utilisation de matériels agricoles (Cuma), car plus on se spécialisait, plus il fallait aller vite pour réaliser les travaux à temps. Or tout le monde avait besoin des mêmes outils au même moment. Du coup, tout ceux qui le pouvaient ont acheté leur propre matériel.

p. 28-29

De l’entraide, voire de la mise en commun de matériel dans certains cas (« les uns avec les autres »), nous sommes ainsi passés à un modèle reposant sur l’individualisme, entendu comme le fait de posséder pour soi et seulement soi (« les uns contre les autres », p. 31). En prenant un peu de recul, on constate que cette analyse de Marc Dufumier sur les tâches agricoles reflète un caractère commun de la société. Après cet état des lieux, l’auteur entre dans le vif de sa réflexion en nous proposant une première définition de l’agroécologie :

L’agroécologie consiste à privilégier une agriculture qui fait un usage intensif des rayons de soleil renouvelables mais aussi gratuits, et un usage intensif du gaz carbonique pléthorique. Voilà la solution d’avenir. Mais se pose ensuite la question de la gestion de l’eau.

p. 36

Pour l’auteur, les solutions à la gestion de l’eau sont : restaurer des haies pour empêcher le ruissellement (la plante a besoin d’eau dans le sol et non sur ses feuilles pour pouvoir transpirer) ; associer plusieurs cultures simultanément sur les mêmes terrains de façon à y établir une couverture végétale qui empêche l’eau de s’écouler en surface ; et, enfin, éviter le labour. La terre est par essence poreuse et n’a pas besoin d’intervention humaine car « les vers de terre, les cloportes, les collemboles font ce travail pour nous gratuitement et sans préjudice pour le taux d’humus des sols (p. 37). La terre est riche et vit, à condition de ne pas employer de fongicides / insecticides / herbicides. C’est pourquoi, d’après l’agronome, l’agriculture conventionnelle / industrielle

n’a plus d’avenir dans aucun pays du monde. Il faut maintenant cesser de tuer les sols, de tuer les vers de terre, de tuer les abeilles, de tuer les paysages, de tuer la planète, de tuer les hommes, de tuer l’emploi. Avec l’agriculture inspirée de l’agroécologie, on ne tue plus, on vit avec les prédateurs, on vit avec les agents pathogènes, mais on minore leur prolifération et les ravages occasionnés sur les cultures par le choix de variétés tolérantes.

p. 42

Et pourtant, dans les années 1960, l’intérêt commun était focalisé sur l’idée de progrès et par extension de rentabilité, ce qui a favorisé le secteur de l’industrie, notamment chimique – et s’est étendu aux décennies suivantes. La dynamique agricole a profondément changé de paradigme : désormais, on ne préservait plus, on anéantissait pour faire augmenter les rendements agricoles. Ce fut l’essor des « –cides » : acaricides, fongicides, herbicides, insecticides, nématicides, pesticides, etc. Ce qui a eu un impact sur la profession elle-même : les agriculteurs ont dû s’y contraindre pour pouvoir survivre dans le secteur et surtout répondre à la demande de l’époque liée à la croissance démographique : « il fallait augmenter les rendements à l’hectare pour nourrir le monde » (Marc Dufumier paraphrase ici les dires de René Dumont, p . 48).

Une spirale de productivité qui a, depuis plusieurs décennies maintenant, des conséquences environnementales et sanitaires funestes. Selon l’auteur, l’une des solutions face à cette accélération industrielle est l’agriculture biologique :

De toutes les formes d’agricultures existantes, l’agriculture biologique, avec son cahier des charges, son label et ses certificateurs, est l’une de celles qui s’inspirent le plus de l’agroécologie scientifique.

p. 55

Nos choix alimentaires, lorsqu’ils sont liés à une réflexion éthique autour de la bio (voir à ce sujet notre article « Pourquoi parler de la bio ? »), se tourneront alors vers des denrées dont nous pouvons connaître les modes de production.

Concernant le paysage, il s’est produit progressivement une réduction des espaces destinés aux cultures agricoles afin de pouvoir « bitumer pour construire des logements, des aéroports, des autoroutes, des centres commerciaux, etc. » (p. 46). Cette réduction croissante de la surface cultivable en France expliquerait-elle l’importation de produits auparavant locaux, comme les pommes par exemple ; ou encore, cette volonté d’extension serait-elle à l’origine de l’apparition récente de sangliers dans les zones urbaines d’Île de France ? Dans son désir d’expansion (et par conséquent de possession de la terre), l’homo sapiens a omis de prendre en compte qu’il n’était pas la seule espèce vivant sur et de la terre.

Cinq voies pour s’orienter

Après le constat des limites de ce modèle agricole et industriel, Olivier Le Naire et Marc Dufumier changent de cap et conduisent leurs lecteurs sur « les cinq voies de la sagesse » ; mais quelles sont-elles ? Il s’agit de :

  1. Voie n°1 : lancer la révolution agroécologique
  2. Voie n°2 : nourrir le monde
  3. Voie n°3 : préserver notre santé et notre environnement
  4. Voie n°4 : lutter contre les inégalités Nord-Sud et résoudre les problèmes migratoires
  5. Voie n°5 : réconcilier les villes et les campagnes

Je ne développerai pas ici ces différentes voies ; je reprendrai seulement quelques grands principes en guise de partage et vous invite vivement à vous lancer dans la lecture de cet ouvrage d’actualité. Je retiens principalement de ma lecture :

  • l’importance de la polyculture et les dangers de la monoculture ;
  • la question des coûts cachés et du pouvoir des grands propriétaires ;
  • la question de la malbouffe et du gaspillage ;
  • le lien entre pollution et ère industrielle ;
  • le fonctionnement du commerce équitable ;
  • la fonction de l’agriculture urbaine, ou comment « l’agroécologie peut nous aider à retisser du lien social et à réinventer la ville » (p.118).

Dans cet ouvrage, l’auteur nous propose également de nombreuses définitions permettant de comprendre, comme je le mentionnais auparavant, les enjeux et problèmes actuels. On trouve des définitions concrètes de termes dans l’ère du temps –souvent repris et scandés mais peu expliqués– : « qu’appelle-t-on un pesticide ? », « que signifie le terme biodiversité ? », « qu’est-ce qu’un acide gras saturé ? », etc.

A travers ces cinq voies, émerge l’idée que l’agroécologie s’articule autour des principes environnementaux, sociaux, agricoles, économiques et aussi moraux. C’est une mobilisation où tout est intimement lié.

Rester en mouvement

Cette approche systémique claire et documentée permet aux lecteurs de comprendre les enjeux d’un changement, en faisant face aux problèmes et bouleversements écologiques, sociaux, agricoles, migratoires (auxquels nous pourrions ajouter les problèmes sanitaires que nous traversons depuis le début de cette nouvelle décennie) au sein desquels nous vivons. Un autre chemin, sûrement collectif, fait partie du domaine de notre possible. Je vous invite donc à découvrir cet ouvrage (qui a suscité du débat pas toujours fructueux – pour les uns, il s’agit de propositions utopiques ; pour d’autres, l’auteur règle ses comptes) et à vous faire votre propre opinion sur les propositions, pleines d’espoir à mon sens, de l’auteur.

Référence : Dufumier, Marc, Le Naire, Olivier, L’agroécologie peut nous sauver, Arles, Actes Sud / Colibris, collection « Domaine du possible », 2019.