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Pour un mode de consommation plus éthique

Chronique du livre « Acheter bio ? A qui faire confiance » de Frédéric Denhez.

Sur la table des nouveautés de la bibliothèque municipale, le titre Acheter bio ? A qui faire confiance (Paris, Albin Michel, 2019) de Frédéric Denhez attire mon attention. De prime abord, je me dis « encore une enquête qui va chercher à discréditer les produits issus de l’agriculture biologique, surtout de la part d’un chroniqueur de France Inter ». Et bien je me suis trompée. Mea culpa.

Dans son ouvrage, Frédéric Denhez, en relatant ses voyages et rencontres, nous amène à réfléchir différemment sur notre système actuel de consommation et je retrouve, en grande partie, les principes qui m’animent au quotidien : consommer mieux en privilégiant le local, la bio (c’est-à-dire la philosophie et non l’industrie – voir à ce titre notre article « Pourquoi parler de la bio ? »).

Ce que je lis au fil des pages est inquiétant. L’auteur nous parle de la duperie des grands groupes, qui imposent un modèle économique qui ne valorise à aucun moment les acteurs locaux, le savoir-faire humain (et ancestral – qui se perd par la même occasion). On nous vend des produits transformés, pasteurisés, dont on peut douter de l’intérêt nutritionnel. Que les produits soient conventionnels, biologiques ou ciblés (gamme végane, sans gluten, etc.), s’ils sont issus de nos grandes surfaces, ils contiendront sans doute des additifs, un taux de sucre / sel / acides gras saturés alarmant, ou pire des ingrédients qui n’en ont que le nom. Notons à ce propos que 338 additifs sont autorisés par le secteur agroalimentaire conventionnel contre 48 dans l’alimentation bio, « dont seulement 4 d’origine chimique » (p. 203) rappelle l’auteur. Même dans le bio transformé, on remarque la présence de « nitrite de sodium (E250) et de « nitrite de potassium (E252) », sauf dans les produits estampillés Déméter et Nature & Progrès, au cahier des charges plus strict.

Tournons-nous donc plutôt vers d’autres lieux, comme le marché local, vers des denrées brutes issues de l’agriculture biologique à cuisiner chez soi : la qualité sera au rendez-vous et nous n’aurons plus de doute sur la composition, la contamination et la provenance. En effet, consommer local, boycotter les grandes surfaces – notamment les hypermarchés et les « retail parks » –, c’est un « acte social », un « acte citoyen », pour tenter de contrecarrer le lobbying des grands industriels.

L’exemple qui m’a le plus frappée est celui du miel : Frédéric Denhez est allé à la rencontre de Lionel Garnery, chercheur au CNRS, et Etienne Bruneau, responsable de la commission qualité d’Apimondia, et voici ce qui nous est donné à lire : « Il m’apprend que les apiculteurs donnent du sucre à leurs abeilles ! Saccharose, au printemps, glucose à l’automne, c’est plus simple que de s’embêter à les faire butiner, surtout quand il n’y a pas assez de fleurs, parce qu’il n’y en a plus. Selon le chercheur, dans beaucoup de ruches, des abeilles ne font plus que transformer du sucre en miel, sans passer par les fleurs ». Autre point marquant : « Pour augmenter leurs marges, de gros acheteurs internationaux demandent aux producteurs chinois et asiatiques de diluer leurs miels avec du sucre. […] Ce n’est pas tant les Chinois qui sont à blâmer : ce sont les traders et les acheteurs finaux qui sont responsables ». Je vous laisse aller lire les autres points développés (p. 121 – 124). Avec un cahier des charges bien plus strict – comme pour Déméter et Nature & Progrès –, on peut se demander si ce genre de dérives ne serait pas évitable.

A l’heure actuelle, le « manger mieux » est un discours qu’on entend partout. A cette occasion, Frédéric Denhez revient sur les nouvelles technologies « nutritionnelles » : Nutri-Score, Nutri-couleurs, Yuka, indice Siga. Pour ma part, ce ne sont que des noms puisque je n’ai pas de smartphone. Toutefois, ce n’est pas la première fois que j’en entend parler. Dans de nombreux magazines féminins et culinaires ces applications sont citées dans les pages nouveautés, ont un article qui y est dédié ; bref, on ne peut pas ne pas en avoir entendu parler, en raison du soi-disant renouveau que certaines de ces applications offrent.

Pourtant, ce que je lis confirme mon scepticisme face à ces nouveaux outils : Anthony Fardet, auteur entre autre de l’ouvrage Halte aux aliments ultra-transformés, (Thierry Souccar, 2017) indique que : « à plus de 90% ultra transformés, je considère [les céréales du petit-déjeuner] comme étant une catastrophe nutritionnelle. Eh bien, le logo Nutri-Score va indiquer au consommateur la marque la moins riche en sucre, gras et sel, donc la moins mauvaise. Mais cela n’encourage pas à manger de la nourriture moins transformée. Ce score classe d’ailleurs en A ou B de nombreux produits ultra-transformés ! » (p. 154-155).

La transformation dénature nos matières premières, leurs valeurs nutritionnelles, leur goût et leur qualité. On ne devrait pas trouver dans la composition des produits, vendus facilement à tous, des composants tels que « dioxyde de titane », « colorants azoïques », « benzoate », « sorbate », « BHA », « phosphates », « glutamate », « huile de palme », « sirop de fructose glucose », « nitrites », « nitrates » et j’en passe. Comme le souligne Frédéric Denhez, « à nous d’aider par nos achats les industriels qui travaillent correctement et honnêtement. Boycottons ce que nous ne voulons plus voir. Accordons encore notre confiance, mais à bon escient ! » (p. 180).

Misons donc sur les relations humaines, le partage, la transmission, la cuisine « cuisinée » par nos soins à partir de produits bruts de saison – ce qui, croyez-moi, forge l’inventivité. Cuisiner fait partie du Do it Yourself, ce n’est pas seulement une appellation à la mode pour les cosmétiques ou les produits d’entretien faits maison.

Jacques Thomas, ingénieur écologue et ami de Frédéric Denhez, résume en ces termes le DIY : « il y a comme une nécessité de se réapproprier les techniques, de faire soi-même pour s’ancrer dans le réel et arrêter de consommer et de vivre par procuration, en déléguant toujours tout à d’autres » (p. 189).

Bien évidemment, la notion de plaisir reste importante : qui n’a jamais craqué pour une pizza ou une foccacia surgelée, ou une grosse cuillère de pâte à tartiner lors d’un petit-déjeuner chez des amis ? Mais, à mon sens le plaisir est encore plus grand quand on intègre la réalisation : déguster une foccacia où la pâte a été pétrie par nos soins, la garniture composée en fonction de l’envie du moment, cela ajouté à l’odeur dans la cuisine et la dégustation tout juste sortie du four : c’est un plaisir entier.

En guise de conclusion, je dirais donc que consommer local c’est diminuer le superflus (intermédiaires, transports, emballages, marketing – packaging + publicités) ; consommer bio c’est refuser l’empoisonnement par des substances qui, sur le long terme et consommées conjointement, causeront certainement des dommages irréversibles sur la santé. Par conséquent, manger bio et local pour aussi peu cher que du conventionnel c’est possible si : 1) on prend le temps d’aller au marché, 2) on privilégie les stands de producteurs, 3) on respecte la saisonnalité, 4) on décide de cuisiner, vraiment. Manger bio et local pour aussi peu cher que du conventionnel n’est pas un luxe, ne devrait pas l’être et n’est pas réservé à une élite dès qu’on sort des structures commerciales institutionnalisées.

Par ailleurs, du point de vue de notre société capitaliste, vous me rétorquerez que « cuisiner, ça prend beaucoup de temps, surtout quand on travaille 35h ou plus par semaine » et je vous répondrai que même si je ne suis pas une adepte de préparer en amont, se mettre aux fourneaux pour cuisiner les légumes et les légumineuses pour plusieurs jours est une solution qui me semble durable pour allier une alimentation réfléchie à notre mode de vie actuelle. Cuisiner de bons produits, ce n’est pas seulement répondre aux besoins physiologiques du corps, c’est également poser un regard critique sur nos modes de consommation, en les rendant plus éthiques.